Si l'on gardait... ( Charles Vildrac )

01/01/2014 03:17

L'ombre de la lune  ( huile sur toile  60/50 cm par Jeannine Libon )

 

 

     Si l'on gardait...

 

Si l'on gardait, depuis des temps, des temps,

Si l'on gardait, souples et odorants,

Tous les cheveux des femmes qui sont mortes ,

Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,

Crinières de nuit, toisons de safran,

Et les cheveux couleur de feuilles mortes,

Si on les gardait depuis bien longtemps,

Noués bout à bout pour tisser les voiles Qui vont sur la mer,

 

Il y aurait tant et tant sur la mer,

Tant de cheveux roux, tant de cheveux clairs

Et tant de cheveux de nuit sans étoile,

Il y aurait tant de soyeuses voiles

Luisant au soleil,bombant sous le vent,

Que les oiseaux gris qui vont sur la mer,

Que ces grands oiseaux sentiraient souvent

Se poser sur eux,

Les baisers partis de tous ces cheveux,

Baisers qu'on sema sur tous ces cheveux,

Et puis en allés parmi le grand vent...

 

Si l'on gardait de puis des temps, des temps,

Si l'on gardait, souples et odorants,

Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,

Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,

Crinières de nuit, toisons de safran,

Et les cheveux couleur de feuilles mortes

Si on les gardait depuis bien longtemps,

Noués bout à bout pour tordre des cordes,

Afin d'attacher A de gros anneaux tous les prisonniers

Et qu'on leur permît de se promener Au bout de leur corde,

 

Les liens des cheveux seraient longs, si longs,

Qu'en les déroulant du seuil des prisons,

Tous les prisonniers, tous les prisonniers

Pourraient s'en aller

Jusqu'à leur maison...

 

Charles Vildrac (1882-1971), Livre d'amour, Paris, Seghers. mour, Paris, Seghers.