Si l'on gardait...

" L'ombre de la lune." huile sur toile 60/50 cm
Si l'on gardait...
Si l'on gardait, depuis des temps, des temps,
Si l'on gardait, souples et odorants,
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,
Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,
Crinières de nuit, toisons de safran,
Et les cheveux couleur de feuilles mortes,
Si on les gardait depuis bien longtemps,
Noués bout à bout pour tisser des voiles
Qui vont sur la mer,
Il y aurait tant et tant sur la mer,
Tant de cheveux roux, tant de cheveux clairs
Et tant de cheveux de nuit sans étoile,
Il y aurait tant de soyeuses voiles
Luisant au soleil, bombant sous le vent
Que les oiseaux gris qui vont sur la mer,
Que ces grands oiseaux sentiraient souvent
Se poser sur eux,
Les baisers partis de tous ces cheveux,
Baisers qu'on sema sur tous ces cheveux,
Et puis en allés parmis le grand vent...
Si l'on gardait depuis des temps, des temps,
Si l'on gardait, souples et odorants,
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,
Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,
Crinières de nuit, toisons de safran,
Et les cheveux couleur de feuilles mortes
Si on les gardait depuis bien longtemps,
Noués bout à bout pour tordre des cordes,
Afin d'attacher
A de gros anneaux tous les prisonniers
Et qu'on leur permît de se promener
Au bout de leur corde,
Les liens des cheveux seraient longs, si longs,
Qu'en les déroulant du seuil des prisons,
Tous les prisonniers, tous les prisonniers
Pourraient s'en aller
Jusqu'à leur maison...
Charles Vildrac (1882-1971)-Livre d'amour- Paris Seghers